Il y a une constante dans la vie de tous les couples : lorsque vous prêtez serment le jour du mariage, lorsque vous faites la promesse solennelle de lier votre vie à celle de votre moitié en répétant mécaniquement la célèbre formule « pour le meilleur et pour le pire », vous ne pensez jamais au pire. Vous le dites, parce qu’il le faut, parce que c’est dans l’ordre des choses, parce que c’est ainsi que se sont unis des couples des siècles durant mais vous n’y pensez pas. Parce que dans la grande naïveté qui caractérise la vingtaine, vous croyez encore que vous serez épargnés par l’orage et que, contrairement à tous les couples qui vous ont précédé dans cette aventure qu’est le mariage, vous ne connaîtrez que le meilleur. Foutaises ! Mais ça, il faut attendre quelques temps avant de le réaliser et cette prise de conscience apparaît sous diverses formes. Pour certains, la cruelle désillusion intervient très tôt, lorsque les chaussettes commencent à traîner sous le lit ou que le dîner n’est pas servi à 19h précises. Pour d’autres, il faut attendre l’arrivée du premier enfant et, par la même, des premières nuits blanches, lorsque l’un semble avoir une heure de sommeil de plus au compteur par rapport à l’autre. Et puis, dans des cas extrêmes, la discorde commence à s’immiscer lorsque le couple apprend que son enfant est appelé à terrasser un psychopathe sans nom ce qui le fait courir un grave danger. Mais là, nous sommes dans les cas extrêmes, vous dis-je.
Plus sérieusement. Après de longues années de disputes avant même que nous ne franchissions le pas de la vie à deux, nous avions la sensation d’avoir épuisé toutes nos cartouches en matière de scènes de ménage ce qui nous promettait à un bonheur sans faille. L’arrivée de Harry, bien qu’inattendue, n’avait fait qu’amplifier ce bonheur et était désormais la preuve tangible de l’amour que nous avions l’un pour l’autre. Non, vraiment, les raisons de nos récentes disputes n’étaient pas internes à notre couple. Lily et moi étions radicalement opposés de caractère, nous le savions depuis le début. Depuis nos années à Poudlard, nous avions appris à composer avec ces différences pour en faire un enrichissement. Je savais que je devais lui laisser son espace fait de grimoires et de potions à condition qu’elle m’autorise des matchs de Quidditch et des sorties avec Sirius sans jamais trop poser de question. Notre relation était basée sur une écoute et un profond respect de l’autre, il n’y aurait pas dû avoir d’ombre au tableau. Mais c’était sans compter sur cette guerre et sur la menace qui planait désormais sur nous. La fatigue, la peur, la suspicion, la paranoïa faisaient des ravages…
Depuis notre dispute de la veille, avant que je ne rejoigne Remus au Chaudron Baveur, nous ne nous étions pas adressé la parole. J’étais rentré très tard. Comme d’habitude, tôt, dans la matinée, Lily s’était glissée silencieusement hors du lit pour se rendre à son travail. Et comme d’habitude, j’avais fait semblant d’être profondément endormi pour ne pas être tenté de lui faire le moindre reproche. Je lui en voulais de consacrer autant de temps à la Gazette mais ce n’était rien comparé à la peur qui me tenaillait le ventre chaque fois qu’elle partait et ce jusqu’à ce qu’elle rentre le soir. Je l’aimais bien trop et je ne voulais pas envenimer les choses avec une nouvelle dispute. La journée se passa donc sans spécificité aucune si ce n’est ce mot, bref, que je reçus de ma femme en début d’après-midi. Elle me demandait de trouver quelqu’un pour s’occuper de Harry toute la soirée et souhaitait que l’on sorte. Elle ne disait pas où ni pourquoi. C’était tout. Aussi, en fin de journée, je transplanai chez les Londubat pour demander à Franck et à Alice de veiller sur notre fils pour quelques heures. D’instinct, j’avais d’abord songé à le confier à Sirius, Remus ou Peter. Puis, la paranoïa reprenant le dessus, j’avais jugé préférable et plus sûr de me rendre chez les Londubat.
18h. Cela faisait une bonne trentaine de minutes que j’étais fin prêt, assis sur le canapé du salon, tapotant nerveusement le sol du pied. J’avais même eu le temps de passer une chemise et de mettre un peu d’ordre dans mes cheveux – si, si, je vous assure. Nerveux, je triturais machinalement l’écharpe enroulée autour de mon cou. Je jetai un coup d’œil par la fenêtre pour voir la neige tomber sur Godric’s Hollow. Non sans une pointe d’ironie, je réalisai que ces flocons annonçaient la venue prochaine de notre tout premier anniversaire de mariage, en même temps que notre tout premier véritable conflit. Je soupirai. Sur la table basse du salon, un bouquet de roses rouges. Je ne savais pas pourquoi j’avais pris cette précaution supplémentaire. Les remords, sans doute. Il y avait également un dessin, représentant un cerf et une biche. Je savais que Lily comprendrait l’allusion.